Le premier souhait d’AdGENCY-Experts est de permettre à ses clients d’établir une relation de proximité avec nos experts. C’est guidé par ce désir que nous organisons régulièrement des diners-conférences autour d’un thème en corrélation avec les sujets de notre époque.
Le jeudi 30 novembre au soir, c’est l’éthicien René Villemure et le philosophe Heinz Wismann qui ont échangé sur le thème de la stratégie éthique de l’entreprise dans une ambiance intimiste qui réunissait une vingtaine de dirigeants d’entreprise.
René Villemure et Heinz Wismann ont choisi de partager leur réflexion sur l’éthique en entreprise. Quelle est sont état actuel ? Comment doit-elle être comprise, envisagée ? C’est dans cette perspective que René Villemure entame le débat.
Selon lui, l’éthique est un sujet qui a tendance a être connu par la négative. Quand on parle d’éthique aujourd’hui, c’est essentiellement pour aborder les manquements à l’éthique que connaissent les entreprises et diverses organisations. Rappelons-nous du scandal initié par Volkswagen qui semble avoir voulu conserver une place de leader plutôt que d’être éthique. (Connu sous le nom de “dieselgate”, le scandal a vu le jour lors de la découverte de l’utilisation de techniques frauduleuses par la marque automobile, afin d’amoindrir les émissions polluantes de ses voitures). René Villemure déplore que “dans notre culture aujourd’hui, il s’avère plus important d’être premier que d’être honnête”.
Or, l’éthique doit être prise en compte comme un réel moteur de réflexion. Il s’agit avant tout d’une recherche du juste. Seulement qu’est-ce-que le juste ? Concept difficile à définir en tous temps, les entreprises ont tendance à s’arrêter à la question légale et se contentent de répondre aux questions : “est-ce que c’est légal ?” et “est-ce que les médias vont en parler ?”. Il ressort de cette idée que les organisations semblent confondre la conformité et le juste.
La conformité est bien ancrée dans les logiques de prise de décision des entreprises. Dans la plupart des situations, une solution déjà pensée au préalable est adoptée, parce qu’elle a fait ses preuves, parce qu’elle est habituelle, parce qu’elle est conforme à la règle. Seulement, il y a une autre possibilité que les entreprises tendent à oublier : choisir une solution qui n’a pas été écrite à l’avance, ce qui exige la capacité de comprendre que plusieurs situations, tout en étant conforme, demeurent néanmoins injustes.
Le ressenti et l’empathie entrent alors en jeu. D’ailleurs, d’après René Villemure, la qualité principale recherchée par les recruteurs en 2030 serait la capacité à ressentir.
L’éthique est ainsi tout une affaire de sens. Le sens évoque la direction, la voie, le chemin à prendre. Devant l’absence de véritable stratégie éthique, on décèle une absence de direction. Cette absence de direction entraîne un non-sens, qui ne peut mener qu’à l’égarement, l’inconduite ou la faute. Afin d’éviter ce piège, il conviendrait que l’entreprise cesse de considérer l’éthique comme un facteur de manquement mais plutôt l’entrevoir comme une stratégie qui la conduit dans une direction choisie et de nommer cette stratégie, la communiquer, parce que “nommer c’est dire avec du sens”.
Parfois le sens d’une stratégie peut aussi être mal interprété, mal compris. Ce qui est souvent attribuable à un lexique inadéquat. Un mot est la construction d’un son et d’un sens, ce qui lui permet de donner une direction. L’appauvrissement du lexique entraîne des situations inconfortables qui pourraient être évitées. René Villemure explique cela sur le ton de l’humour mais le mot « COOL » englobe des dizaines de définitions différentes, des dizaines de sens. Ainsi un même son, un même mot, peut contenir toute une variété de sens. Or le sens est primordial en entreprise, d’où l’importance du choix des mots. Sans le sens, les mots ne peuvent donner une direction.
En réponse à l’argumentaire de René Villemure, Heinz Wismann ajoute que le mot éthique vient du grec ethos qui désigne l’habitude, un comportement coutumier devenu une référence. En ce sens l’éthique s’articule comme un nombre de préceptes qui normalisent les habitudes, les manières d’être, d’agir et de penser. Seulement ces préceptes, ces habitudes, sont totalement différentes d’une civilisation à l’autre. Alors comment rendre une valeur (l’éthique) universelle ? Pour les grecs anciens, la seule manière d’agir juste, d’être éthique, est de suivre la belle ordonnance du monde ; nous devons nous fier au cosmos et aux mouvements des cieux. Autrement dit, c’est par le respect de la nature et de sa propre nature, que les actions de l’homme peuvent être éthique. L’éthique désigne d’ailleurs pour eux «l’inclinaison naturelle à agir», à produire de l’action. Il s’agirait donc de faire confiance en notre nature profonde, d’agir en conformité avec elle pour mettre en mouvement l’éthique.
Comment peut-on juger de la pertinence d’un choix éthique ? Selon Kant, le principe de l’autoréalisation est à ajouter à celui de l’éthique. Max Weber propose quant à lui d’y adjoindre celui de la responsabilité. Ce dernier se demande alors qui sont ceux qui désignent les choix éthiques. Pour lui, c’est la science qui s’en charge, d’où le terme d’expertise. “Les experts sont ceux qui éclairent ceux qui prennent des décisions des conséquences de ce qu’ils vont faire”. Mais ces experts sont-ils réellement neutres? Ne retrouve t-on pas dans les sciences des intérêts, notamment économiques qui peuvent aller à l’encontre des ces missions?
Prenant l’exemple des scientifiques exerçants sous le régime du troisième Reich, Heinz Wismann conclut en nous rappelant que nombre de scientifiques ont placé leurs intérêts et l’avancement de la science au détriment de l’éthique. Avant de s’en remettre à la science ne faudrait-il pas discuter ? Ce qui nous ramène au problème de communication qui rôde autour de l’éthique. La communication, le langage, le choix des mots et du discours permettraient de donner sens à la stratégie éthique. D’où l’interêt de la préservation de notre patrimoine linguistique riche de ses nuances car, à l’image de la novlangue orwellienne, l’appauvrissement de la langue conduit à un appauvrissement de la condition humaine.
Suite au discours des deux intervenants, René Villemure et Heinz Wismann, les participants du dîner-conférence ont prit par au débat, chacun posant leurs questions. La soirée s’achève ainsi, entre échanges, rencontres, dégustations et rires. Les convives sont comblés, les experts aussi, rien de tel pour ravir l’équipe AdGENCY et nous donner l’envie de continuer dans cette voie. Vous avez hâte d’être au prochain dîner-conférence ? Nous aussi !