27 mars 2020,

Aujourd’hui, nous vous présentons la réflexion d’Oliver Lajous, ancien amiral et DRH de la marine, sur ces moments que nous vivons mais aussi la conférence en découlant. 

En guerre, l’impossible est possible !

Le besoin de se réinventer 

En guerre, l’incertitude, la discontinuité, la montée aux extrêmes, l’hyper connectivité, la globalisation, la vitesse et l’inconcevable sont au nombre des dimensions à traiter. Il faut réinventer des repères, des rythmes, improviser, favoriser l’innovation et la créativité, maintenir un esprit d’engagement collectif, regarder la situation avec lucidité et s’engager personnellement. Il n’y a pas une situation semblable à l’autre ; l’incertitude est constante et il faut agir au jour le jour, en se souvenant qu’au cours d’une même guerre il y a plusieurs batailles.

Le besoin de mobiliser

Il ne s’agit pas de rassurer des populations en leur garantissant que tout est sous contrôle, mais de les rendre partenaires et actrices d’un engagement collectif lucide, responsable, solidaire et créatif. Il ne s’agit pas plus de sous-traiter le leadership à quelques élus, dirigeants ou experts, mais d’encourager exemplarité et engagement personnel à tous les niveaux.

Le besoin de se connaître

Pour faire face à une guerre, il faut avant tout chose se connaître, non seulement soi en tant qu’individu, mais aussi soi en tant que groupe : quelles sont mes forces et mes faiblesses, celles du groupe ? quelles valeurs motivent et guident mon action et celles du groupe ? quelle est ma capacité à faire face à tel ou tel événement et celle du groupe ? Sans cette analyse objective de sa situation personnelle et collective, le risque est grand de se retrouver en échec face à la guerre.

Le besoin de voir la réalité

Le réel, c’est précisément ce qui échappe le plus souvent à l’homme Sa nature le conduit à interpréter les faits en fonction de ses propres perceptions, sous la pression de son émotivité. Ce combat contre la subjectivité émotive est un défi permanent. En temps de guerre, le« PFH »1 reste le premier levier de bascule entre défaite et victoire.

Le besoin de veiller

Au-delà du besoin de voir la réalité, il faut s’assurer de la crédibilité et de la diversité des informations recueillies et résister au déferlement médiatique, particulièrement à celui des réseaux sociaux. De nombreuses organisations mettent sur pied des mécanismes d’évaluation des risques. Cela engendre un sentiment de confiance qui est dangereux car les risques interviennent le plus souvent en dehors des scénarios identifiés. Seule une veille continue et réactive permet éventuellement de les prévenir, et il faut le plus souvent improviser. Les plans n’ont pour seule vertu que celle de se poser des questions.

Le besoin de donner du sens

En guerre, les décideurs sont confrontés à un univers complexe où s’expriment une multitude d’acteurs tous soucieux de « lever leurs peurs », mais aussi pour certains de se dédouaner de toute responsabilité, voire de tirer profit de la situation si l’occasion se présente. Cependant, une attitude raisonnée des individus reste possible si l’on s’appuie sur leurs perceptions de la guerre, et qu’on exploite ces perceptions pour trouver avec eux des réponses qui calmeront l’inquiétude, sans pour autant dénier la réalité des situations, les dangers, les limites mais aussi les chances de succès. Une communication sincère et transparente, positive plus que négative, est un facteur clé de succès.

Le besoin de décider

On caricature souvent la guerre en la réduisant au choix de la bonne décision prise par un décideur « sauveur ». Dans la réalité, la victoire dépend le plus souvent de la bonne coordination et implication de l’ensemble des acteurs d’un même camp. Deux écueils sont à éviter : la conflictualité de ces acteurs qui ont potentiellement des « stratégies divergentes », et l’attitude du groupe qui conduit le plus souvent à s’en remettre à l’avis du décideur. Pour éviter ces écueils, il faut s’entourer de personnes qui exprimeront des solutions qui ne vont pas forcément dans le sens de ce que le plus grand nombre a envie d’entendre. Vient ensuite le temps de la décision qui, sitôt prise, appartient au passé. Ceux qui la portent devront faire preuve d’exemplarité, de solidarité et d’engagement personnel dans son application. Il n’est plus temps de polémiquer.

Le besoin d’improviser

La décentralisation est un élément clé dans la gestion des guerres. Si chacun doit avoir des objectifs clairement définis et agir en adéquation avec les autres, il faut aussi favoriser le sens de l’improvisation, ce qui est une recommandation rarement entendue. L’inverse, à savoir le recours à une vision univoque, aboutit à créer davantage de formalisme, et donc à réduire la réactivité et la faculté de prendre les décisions les plus adéquates. Toute guerre exige une bonne dose d’improvisation, au plus près du terrain.

Le besoin de s’inscrire dans la durée

Il faut enfin se débarrasser de la vision de la guerre comme d’un événement unique, soudain, localisé dans le temps et dans l’espace. Les guerres ignorent le temps et l’espace et, dans le monde globalisé, ont de plus en plus souvent l’apparence des grandes houles océaniques dont les épisodes se succèdent irrégulièrement mais fréquemment, atteignant tous les rivages. Comme la houle, la guerre est vivante et permanente, parfois meurtrière. Dès lors, il faut rester vigilant et surtout ne pas croire qu’une guerre est terminée avant que tous les indicateurs ne démontrent un retour à une situation momentanément stabilisée qui de toute manière ne sera pas durable, et encore moins la même que celle d’avant. C’est l’idée du « jour d’après ». Il faut aussi savoir que certains utiliseront la fin de la guerre pour faire émerger de nouvelles polémiques et créer « une guerre après la guerre », car vivre dans la guerre leur procure des avantages. Il faut donc en permanence rester en alerte et se garder de croire que la guerre ne reviendra pas.

Conclusion

Au terme de ce témoignage, j’espère vous avoir apporté quelques idées utiles sur la guerre, la façon de s’y préparer, de la vivre et de la gagner.
Ce qu’il faut retenir, c’est que la guerre est un triple défi :

  • Un défi intellectuel, car elle ne peut être « mise en science ». En rendant l’impossible possible, elle balaie en effet toutes les théories binaires.
  • Un défi existentiel, car elle s’impose au plus profond de l’intimité de celles et ceux qui la vivent en bousculant tous leurs repères et leurs rythmes.
  • Un défi managérial, car elle impose le désordre, l’instabilité, la non -prédictibilité et la pression à des dirigeants le plus souvent choisis sur leur aptitude à piloter des organisations stabilisées, qui excluent au maximum la surprise.Enfin, deux facteurs clés caractérisent la guerre : l’angoisse et le temps.
  • L’angoisse prend racine dans l’incertitude et génère des comportements émotifs, parfois extrêmes. Le PFH devient alors l’élément clé de bascule vers la défaite ou la victoire.
  • Le temps permet de bâtir des stratégies à court, moyen ou long terme. Sous la pression du temps court qu’impose la guerre, les possibilités d’actions se réduisent. Plus il y a de pression, plus il faut se donner du temps. La bonne gestion du temps devient alors l’élément clé de bascule vers la défaite ou la victoire.

A vous de relever ces défis. Personne ne peut le faire à votre place, mais souvenez-vous que vous n’êtes pas seul. Bien modestement je m’efforce en partageant ces réflexions de vous accompagner dans ce moment de dérèglement de tous nos repères du seul fait d’un virus mortel à l’échelle mondiale, en vous apportant un regard singulier : celui d’un homme qui a été engagé dans de nombreuses guerres.

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