19 mai 2020, nous vous présentons la réflexion de Philippe Gabilliet, Professeur de Psychologie et de Management, coach et conférencier sur la gestion du déconfinement.
Les clés du mental post-catastrophe
Le monde a toujours connu de nombreuses « crises », que celles-ci soient politiques, économiques, sociales, environnementales ou sanitaires. L’Histoire regorge de ces évènements de tension et de rupture, de ces concours de circonstances extrêmes, dont il a fallu que les Humains, les Etats et les Organisations affrontent collectivement les graves conséquences.
La caractéristique des crises les plus banales est qu’elles s’expriment de préférence localement, dans telle entreprise, tel secteur d’activité, telle région du monde. Toute crise, au-delà des prises de conscience qu’elle entraîne parfois chez ses protagonistes, produit d’abord et avant tout une attente de « résilience » au sens physique du terme, dont il faut rappeler qu’il désigne la résistance d’un matériau au choc, voire sa capacité à retrouver sa forme initiale après une déformation. Sortir d’une crise, c’est rebondir afin de retrouver le plus vite possible le mode de fonctionnement antérieur, au prix s’il le faut que quelques améliorations, innovations, et autres remises en question.
Mais il arrive que certaines de ces crises aillent bien au-delà. Globales, systémiques, imprévisibles, elles engendrent des réactions en chaîne les faisant déboucher sur des ruptures graves de fonctionnement au sein d’une communauté ou d’une société, ces dernières ne pouvant en surmonter rapidement impacts et conséquences. Il peut s’agir d’un séisme naturel ou d’une catastrophe écologique majeure, d’une guerre, d’une crise financière ou d’une pandémie mondiale. On parle alors d’une « catastrophe », définie par les Nations Unies comme « une grave interruption dans le fonctionnement d’une société, causant des pertes humaines, matérielles et environnementales qui dépassent la capacité de la société affectée à y faire face avec ses propres ressources ».
Le champ de la gestion post-catastrophe a depuis déjà plusieurs décennies produit nombre d’approches techniques, logistiques ou psychologiques permettant aux acteurs publics et privés de prendre en charge les divers niveaux de reconstructions nécessaires à l‘issue d’un désastre majeur et de son impact sur les personnes et les biens.
Mais ce qui est vrai au niveau d’un pays ou d’une région l’est tout autant au niveau d’une organisation. Qu’elles soient affectées par une guerre, un mouvement social majeur, une crise économico-financière ou une pandémie, il arrive que les entreprises soient aussi mises en grand danger du fait d’événements n’ayant rien à voir avec leur fonctionnement interne ou la qualité de leur gestion, mais avec les conséquences non-maitrisables et inattendues de ruptures majeures intervenues dans leur écosystème. Et dans ce contexte, les acteurs concernés, en particulier les équipes et leur encadrement, ne peuvent éviter d’affronter – au-delà d’un immense sentiment d’injustice – l’apparition compréhensible de ces ingrédients toxiques que sont le doute, le sentiment d’impuissance, le pessimisme, la perte de motivation et le découragement, voire le désespoir.
Face à des femmes et des hommes confrontés à la catastrophe, à la fois dans leur cœur, leur tête, leurs biens, leurs liens et parfois leur corps, l’injonction lénifiante à « l’attitude positive » apparait rapidement comme toxique, car ressentie par les intéressés comme un déni de leur souffrance voire de leur deuil. Il est des situations de vie que l’on ne peut décemment pas tenter de « positiver ». Tout simplement parce que pour celui à qui la catastrophe arrive, un certain nombre de choses ne seront tout simplement « plus jamais comme avant ».
Tel est le thème que j’aimerais développer dans ma prochaine conférence :
Les clés du mental post-catastrophe.
Reconstruire l’optimisme collectif face aux épreuves.
L’étymologie grecque du mot catastrophe (katastrophé : renversement, bouleversement) nous confirme bien que la seule dimension non négociable, face à celle-ci ne peut être que la Reconstruction, celle des biens, des liens, des têtes et des cœurs.
Pour survivre à n’importe quelle catastrophe, voire la transformer en un nouveau mouvement de croissance, il faut avant tout des Entrepreneurs, au sens philosophique du terme, des hommes et des femmes ayant accepté de vivre la destruction – ici imposée par les événements – comme un processus de re-création possible.
Ce processus est loin de n’être qu’économique. Il est au départ psychologique et comportemental. Que ce soit pour un individu, une équipe, une entreprise ou une nation, les conséquences de la catastrophe sont avant tout dans la fracture de la continuité d’avant et du confort acquis.
L’Entrepreneur post-catastrophe peut présenter des visages multiples : enseignant, soignant, entraineur, éducateur, manager, père ou mère de famille, élu local, et bien sûr chef d’entreprise… Mais dans tous les cas il est celui ou celle dont la mission sera de recréer de l’énergie de la valeur (humaine, sociale, économique, etc.) dans un contexte dégradé. Pour toutes celles et ceux en responsabilité, toutes celles et ceux ayant charge des « états d’âme » d’autres acteurs (étudiants, patients, collaborateurs, bénévoles, citoyens, etc.), le développement au sein de leur communauté de référence d’un mental post-catastrophe constitue une priorité. Mais qu’en est-il exactement ?
Face à une catastrophe, la question prioritaire n’a jamais été celle du « pourquoi ? » ou du « comment en sommes-nous arrivés là ? ». Non parce que cette question manque d’intérêt, mais parce que qu’elle survient souvent à contretemps, trop tard ou trop tôt, sachant que face à l’urgence de la reconstruction, on doit savoir séparer le temps de l’analyse de celui de l’action. La question fondamentale de l’entrepreneur post-catastrophe sera plutôt « la catastrophe étant advenue, qu’allons-nous pouvoir essayer d’en faire ? »
Oui, que faire d’une catastrophe ? Comment tenter de la transformer en énergie collective pour demain. Sachant qu’une catastrophe, dès lors qu’elle est regardée avec lucidité et prise en main avec optimisme :
– vient nous rappeler l’essentiel, ce qui est vraiment important pour nous ;
– permet de mettre un nom sur nos vulnérabilités réelles, et parfois d’anticiper les prochaines ;
– attire notre attention sur l’inéluctabilité de certains risques ;
– nous force à apprendre de l’aléa, afin de nous transformer ;
– est une opportunité de nouvelles coopérations et de solidarités renforcées ;
– nous fait prendre conscience de l’imprédictibilité du lendemain ;
– nous aide à mieux comprendre ce qui nous est « imputable », même face à un événement dont nous ne sommes pas responsables ;
– active notre intelligence du « faire face », sous toutes ses formes ;
– nous pousse à transformer l’incertitude en projet, etc.
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